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Nouvelle de Morgane Torres

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1Nouvelle de Morgane Torres Empty Nouvelle de Morgane Torres Mar 9 Déc - 18:55

A-lice

A-lice

Dernière danse

Il faisait froid en cette fin d’après-midi. Elle avait les mollets engourdis par le vent glacial qui s’invitait par-dessous son mince pantalon de coton.
De temps à autre, quelques flocons de neige venaient s’engouffrer entre son cou ridé et son écharpe. Ses pas crissaient avec un bruit sourd sur le tapis blanc qui recouvrait le sol gelé.
Elle marchait avec prudence sur la route dont on voyait difficilement la marque. C’est que la nuit tombait bien vite en cette période-ci de l’année. Elle savait que ce n’était pas très raisonnable à son âge de rentrer à cette heure-là de sa partie de dames… Tant pis, elle avait passé une après-midi sympathique avec son amie et l’avait quelque peu prolongée devant une tisane au coin du feu.
Toujours ce vent frais. Elle hâta le pas, pressée d’arriver chez elle.

Un tour de clé, la voilà à l’abri. Une délicieuse odeur de pot-au-feu préparé du midi lui emplit les narines. Hum, quel plaisir de rentrer au chaud ! Elle ôta ses gants et les mit à sécher près du feu, son manteau dégoulinant resta suspendu à l’entrée. Le nez contre la vitre elle ne pouvait s’empêcher de savourer, bien au chaud, ce splendide paysage hivernal de campagne. Il s’était mis à neiger davantage. De magnifiques étoiles de cristal tourbillonnaient dans le froid, l’une d’entre elles, plus curieuse, vint se coller au carreau. Les cristaux fondaient lentement, disparaissant peu à peu du regard de la vieille dame. La lumière pâle des lampadaires suffisait pour faire miroiter les flocons comme des centaines de paillettes irisées. Le regard émerveillé, elle suivait la douce chute des éclats du ciel blanc, les feux glacés de ce plafond cotonneux. Elle aimait ça et l’âge avançant, elle avait appris à déguster chaque instant, à profiter du moindre petit bout de bonheur qui voulait bien pointer son nez.
Un oiseau voleta un instant devant elle et poursuivit sa route hors de portée de ses yeux. Un rouge-gorge. Avec ce froid ? Et pourquoi pas. Un rouge-gorge… A des années bien loin d’aujourd’hui, elle se revit soudain gamine, un hiver. Un rouge-gorge (pareil à celui là ?) couché sur la neige, le plumage constellé de perles glacées. Et de ses petites mains tièdes, de le protéger, et de son souffle chaud de le récupérer. En vain. C’était son dernier hiver. Larmes d’enfant, et pourtant… et pourtant… la sensibilité était toujours là, avec quelques rides en plus. Un cœur à fleur de peau qui semblait ne plus courir les rues. Le monde qui l’entourait aujourd’hui ne savait être que pressé. Rêver et prendre le temps se voyaient bannis du quotidien. Qu’importe, elle était vieille, comme ils disent, et plus rien aujourd’hui ne la pressait.
Elle quitta néanmoins la vitre embuée par son souffle et se rappela qu’elle avait prévu de faire ses dernières confitures de la saison. Tiens, encore un plaisir simple dont elle se réjouissait. L’odeur des fruits chauds chassa celle des légumes. De ses mains usées, la vieille femme refermait chacun des pots qu’elle remplissait avec soin avant de les ranger, tête en bas, dans son placard. Il faudrait encore attendre avant de déguster.
Attendre… Même avec ces clins d’œil de bonheur semés tout au long des journées, la vieille dame commençait à trouver le temps plus long. Les soirées traînaient, les nuits s’écourtaient et se faisaient agitées. Elle passait la plupart de ses jours seule, c’est vrai qu’elle trouvait toujours quelques activités, mais bon…

Un peu ailleurs, elle se mit à table. Elle mangeait face à elle-même, elle avait l’habitude, alors pour combler le vide, elle mettait la radio pour seul bruit de fond. Elle écoutait les rythmes qui l’entraînaient inévitablement dans ses pensées. Des rythmes du monde, saccadés, réguliers ou inattendus. Elle savait avec quelle magie le compositeur avait fait naître sous ses doigts ses notes subtiles, agréables. Et tout ce morceau, juste quelques minutes, avait été mis en œuvre par l’imagination seule de ce magicien…

Quand elle eut fini son repas, elle se leva et débarrassa sa table. Comme à son habitude, elle partit dans la salle de bain se préparer pour la nuit ; mais alors qu’elle passait devant son miroir, son regard l’interpella. Sur cette surface froide et lisse, propre, et où le passé n’avait pas encore laissé sa marque, elle vit se refléter un visage fatigué, creusé en profondeur par les sillons indélébiles des souvenirs. Instants de vie à jamais gravés en elle et qui perçaient maintenant dans ses yeux. Une étincelle dans chacun d’eux. L’étincelle du bonheur et du passé. Son regard riait, il pétillait. Eblouissant du même éclat qui brillait auparavant. Nostalgique, les pensées ailleurs, elle détourna son regard, s’habilla et sortit de la pièce. Doucement, elle grimpa les escaliers aux marches usées elles aussi par leur passé, grinçaient sous ses pas.

La porte fermée, les rideaux aussi, elle s’alluma une douce lumière et se mit dans ses draps. Son regard parcourait la pièce, cherchant un dernier petit quelque chose à remettre, ranger ou faire juste avant d’éteindre. Mais non, tout était en ordre. Sauf peut-être sa commode, tout près du lit, débordant de photos vieillies. L’une d’entre elles, attira tel un aimant les prunelles de la vieille dame qui tendit le bras pour l’attraper…

Devant un décor de spectacle, un homme et une femme, figés dans leur sourire rayonnant... Les plaintes longues d’un violon résonnent au loin. Les sursauts du piano s’y ajoutent, les vibrations de la contrebasse suivent les frissons de la guitare sèche et finalement, les larmes de l’accordéon aussi.
Ils sont là, immobiles, au milieu de ces émotions, sur scène. Lentement leurs pas débutent. Symétriquement ou non, ils se déplacent. Leurs bustes, droits et gracieux, mènent leurs deux corps. Leurs pieds s’entremêlent. Leurs chevilles souples courent, se cachent, se cherchent et se croisent. Ses jambes, portées par de hauts talons aiguilles, s’emmêlent, se décroisent. Il la guide, mais elle l’évite. Il la retient, elle s’échappe. Il la rattrape, elle le frôle, le provoque. Il l’enlace, elle lui tourne autour. Ils se rejettent pour mieux se retrouver après. Un mouvement de hanche, rapide, imperceptible, un tour de cheville, elle joue. Elle joue avec lui. Il la tire, contre lui. Un rond de jambe qui finit sur la douce violence d’une étreinte. Sa jupe virevolte, elle tournoie. Il s’impatiente. Ses doigts contre son dos dénudé, son bras fort autour de sa taille, il la veut. Leurs pas se font rapides et violents. Toujours les plaintes des instruments. La tête haute, elle continue de s’amuser. Leurs corps serrés se confondent. Leurs regards ne se quittent plus. Encore un tour. Encore un sourire. Enfin, il l’a contre lui. Elle s’est laissée persuader. Enfin. Le rideau tombe. Fin du morceau. Tango.

Les mains toutes tremblantes, frissonnant telle une feuille au vent, la vieille dame observa avec émotions cette jeune et belle femme qui resplendissait sur cette photo. On avait du mal à croire que cette merveilleuse créature n’était autre qu’elle-même. Une larme perlait au coin de son œil. Doucement, elle reposa l’image ; et s’affaissa dans son lit. Le regard perdu dans un autre univers, elle pensait à cet homme qui avait mené avec elle cette sensuelle évasion. Peut-être l’attendait-il, là-bas, quelque part pour une nouvelle danse. Elle aimerait se retrouver près de lui, protégée dans la douce chaleur de son étreinte, elle savait qu’elle ne tarderait plus à le rejoindre… non, elle ne tarderait pas… De ses doigts frêles elle éteignit la lampe. Un sourire aux lèvres elle s’envola, le rythme argentin dans la tête…

Morgane Torres

2Nouvelle de Morgane Torres Empty Dernière danse Jeu 11 Déc - 18:14

Jean Louis Maitre

Jean Louis Maitre

J'ai déjà eu l'occasion de dire que c'était une jolie histoire, bien écrite...

http://monnettheatre.over-blog.com

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